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Deux questions à un ancien élève : Henry de Monfreid (1963)

Cahiers de l’EA, 5, 1963

Article du 25 septembre 2009, publié par PO (modifié le 20 décembre 2012 et consulté 1036 fois).

Deux questions à un de nos grands anciens : Henry de Montfreid

par Jean-Luc MARGOT-DUCLOT, élève de 2e AB.

Aventurier et écrivain légendaire, Henry de Monfreid, élève à l’École alsacienne de 1889 à 1892, a hanté pendant près de quarante ans les rivages de la mer Rouge et de la corne de l’Afrique.

A la question : « Qu’est-ce qui vous a poussé à quitter le monde civilisé et à écrire ? » Henry de Monfreid répond d’abord qu’il passa sa jeunesse dans un pauvre village, à mi-chemin entre la France et l’Espagne. Dès son enfance, il sentit naître en lui, en même temps que le goût des voyages, cette passion d’indépendance et d’évasion qui l’incita « à partir conquérir des peuples inconnus ». Il voulait aussi devenir quelqu’un, et non un « petit bonhomme routinier », pouvoir se défendre seul, « sans l’aide des gendarmes ». Paradoxalement, ses études d’ingénieur développèrent sa sensibilité. Elles lui furent aussi dans sa vie d’aventure, d’une grande utilité : « Pour voyager, plus l’esprit est riche, mieux ça vaut. »

Mais très tôt la digue qui séparait ce qu’il appelait son devoir de ses aspirations profondes se rompit, et il décida de s’exiler vers des terres lointaines. Il part vers l’Egypte et le Moyen Orient. Il prend d’abord contact avec les Bédouins, apprend leur langue, vit avec eux, gagne leur confiance et devient l’un des leurs. Après cinq ans de cette vie, il décide d’aller chez les pêcheurs de perles, jusqu’au jour où il découvrira un fabuleux pays : le Yemen. Le Yemen, aux frontières duquel il faut montrer patte blanche.

Il fait du trafic d’armes à destination des troupes rebelles. Il se rend bien vite compte qu’il est le seul blanc qui soit jamais parvenu au coeur de ce pays. Et il prend note sur note : « J’avais le désir de ne pas laisser perdre tout ce qui faisait la beauté de ma vie. » Pendant ce temps, en Europe, on le considère comme un déséquilibré : « Monfreid ? Ah, oui, cet espèce de fou qui vit au fin fond de la mer Rouge, mêlé aux tribus nomades ? » Pourtant le grand quotidien Le Matin l’engagera pour servir de guide à une mission de reportage sur ce qu’on appellait alors la route des esclaves. Ce sera la chance de sa vie. Le chef de l’expédition – l’écrivain Joseph Kessel – tombera par hasard sur ses notes, les trouvera saisissantes de vie, et poussera Monfreid à les faire publier.

Accusé à tort d’avoir attaqué une patrouille anglaise, Monfreid est transféré au Kenya. Il fera là-bas d’autres découvertes qui alimenteront d’autres récits. Il médite alors sur le sens de ses aventures et découvre que son existence n’a été bâtie que sur divers hasards. C’est peut-être ce qui l’amène à conclure « personne n’est maître de sa destinée ».

A la question : « Au cours de vos voyages, vous vous êtes forgé une philosophie personnelle. A quoi se résume-t-elle ? » notre interlocuteur répond : « J’ai tiré ma philosophie des enseignements d’un sorcier noir : “Si on ne te l’avait pas dit, tu n’aurais jamais su quand tu es né. Tu ne sauras pas davatange quand tu mourras. Fais donc comme si tu n’allais jamais mourir. Ne crains pas que ce que tu vas faire soit en pure perte. La pomme que je mange à l’heure qu’il est vient d’un pommier planté par un homme qui est assurément mort depuis longtemps.” »

C’est bien là l’étrange sagesse des peuples que l’on considère comme primitifs. Il n’est donc pas étonnant que Henry de Monfreid, qui a tant appris chez ces peuples, soit profondément anti-colonialiste : « Le noir est différent du blanc, aucunement comparable, mais nullement inférieur. Nous avons bouleversé l’existence de ces peuples. Nous sommes arrivés, sûrs de nous comme à l’ordinaire, çhacun faisant comme s’il était chez lui, agissant à sa guise. Sous prétexte de “but humanitaire” nous avons construit des écoles, des hôpitaux, élevé des églises, beaucoup d’églises. Mais de quoi nous mêlions-nous ? Le noir vivait parfaitement heureux, en équilibre avec la nature. Car là-bas la mortalité est nécessaire et acceptée. Et nous avons brisé cet équilibre avec nos piqûres, nos médicaments, et autres drogues. » D’autre part Monfreid pense que dès que le blanc aura flni de décoloniser l’Afrique, le noir retombera dans son état primitif, avec ses tabous, ses sorciers et ses rois. Et cette chute sera d’autant plus douloureuse qu’il aura connu la civilisation européenne. « Nous les avons donc assassinés. »

Pour conclure, nous ferons nôtre le désir exprimé par Monfreid : « Tous mes souvenirs revivront dans mes bouquins ; j’espère qu’ils intéresseront tous les écoliers et qu’ils leur feront vivre “moralement” les voyages et les aventures que j’ai courus réellement. »

Sang Neuf, 5, 1963

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