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La Dame aux yeux d’émeraude, par Cléophée Razakarivony

Article du 4 juin 2012, publié par PO (modifié le 5 juin 2012 et consulté 182 fois).

La Nouvelle vague fantastique : Table des matières


La Dame aux yeux d’émeraude

Cléophée Razakarivony

Je contemplai le feu rougeoyant. L’horloge de ma grand-mère sonna quatre heures. Le notaire était en retard ! En effet, il m’avait annoncé deux jours plus tôt qu’il devait m’entretenir. Toujours ravie de recevoir de la visite dans ce grand manoir, sombre et mystérieux, j’avais accepté.

Le temps passait, trop lentement à mon goût. La tension ne cessait de monter et je détestais attendre. Je tricotais de plus en plus vite pour essayer de me calmer. Je jetai un coup d’œil à ma montre : cinq heures. Mais où était passé Monsieur Darot ?!

La pluie tapait contre la fenêtre, il faisait presque nuit en cette après-midi de novembre. Le feu éclairait à peine la pièce, j’avais froid. On frappa violemment à la porte, Monsieur le Notaire, enfin ! Je me levai, déposai mon tricot sur la petite table en marbre à côte du divan puis j’ouvris la porte d’une main hésitante. Dès que j’aperçus le visage souillé, mouillé et barbu de l’homme, un frisson me parcourut l’échine.

— Eh bien mademoiselle Tot, me laisserez-vous ici sous la pluie toute l’après-midi ?, s’exclama le notaire.

— Oh ! Non... Bien sûr, rentrez..., balbutiai-je, mal à l’aise.

Dès qu’il fut entré dans le vestibule, je fermai la porte à clef et lui demandai de me suivre dans le salon où il s’assit.

Je partis dans la cuisine chercher les petits fours et le thé déjà préparés sur un plateau. Revenue, je surpris Monsieur Darot en train d’observer avec étonnement, mais aussi beaucoup de peur tous les grands tableaux qui me représentaient. J’aimais à me regarder dans un miroir ou encore, à fixer mon visage sur une toile, je ne m’en lassais jamais. Mais ma beauté était telle que j’en effrayais les hommes.

— Qu’y-a-t-il monsieur Darot ? Mon charme vous effraie-t-il ?, souriais-je.

Il répondit avec un petit rire nerveux tandis que je posai le service sur la table basse. Je m’assis en face de lui et la conversation s’engagea. Et venant tout de suite au fait, Monsieur Darot m’annonça une terrible nouvelle, ma tasse glissa de mes mains et je renvoyai mon notaire...

Le lendemain, je me réveillai en sursaut, un mauvais cauchemar, sans doute. Il était déjà midi ! J’étais en retard. En effet, je devais aller chercher ma commande chez mon couturier. Quelques semaines auparavant j’avais décidé de m’offrir une nouvelle robe de soirée que j’avais moi-même dessinée. La seule robe présentable qui me restait n’était plus du tout à la mode et j’avais décidé qu’elle ne s’accordait plus avec mon teint. Je me hâtais, n’oubliais pas de prendre mon tricot avant de partir et m’engouffrais dans le taxi qui venait juste d’arriver. Une demi-heure plus tard, j’étais dans la rue.

Avant d’entrer dans la boutique, je jetai un coup d’œil dans la rue Marybelone. Les gens ne cessaient de me dévisager, sans doute à cause de ma beauté. Les femmes me regardaient jalouses, d’un air hautain, et les hommes me fuyaient, mon charme les effrayait. J’avançai, élégante puis tout à coup, je m’immobilisai net. Une silhouette encapuchonnée, dans une grande cape noire, s’était, en ce mois de novembre très froid, tournée vers moi. Elle m’observait, et je fus hypnotisée. Ses yeux verts, énigmatiques, croisèrent mon regard et le happèrent. Cette couleur était unique, personne d’autre n’avait un regard semblable sauf moi...

Quelqu’un me bouscula. Je me tournai de tous les côtés, cherchant mon inconnue. A droite. A gauche. Rien. Je soupirai, je me sentais vidée, comme si j’étais dépossédée de quelque chose : la dame aux yeux d’émeraude.

Arrivée chez moi, je déposai mon tricot sur la table en marbre puis montai avec mon colis dans ma chambre très curieuse de voir le résultat de mes dessins. Je mis ma boîte sur mon lit, l’ouvris et admirai ma nouvelle robe. Je ne pouvais détacher mon regard de ce splendide fourreau. Prise d’une envie irrésistible, je décidai de l’enfiler délicatement.

Me sentant si belle, j’esquissai quelques pas de danse dans la pièce en m’imaginant rencontrer pour la seconde fois celle qui m’avait tant intriguée. Je fermai les yeux en chantonnant. Un parfum attira mon attention, j’ouvris les yeux et me tétanisai. La femme, elle... Elle était là, devant moi toujours habillée de son manteau ! Comment était-elle entrée ? Me connaissait-elle ? Je ne comprenais pas... M’avait-elle suivie ? Toutes ces questions se bousculaient dans ma tête. J’avais peur, je ne la connaissais pas. Qui était-elle ? Elle m’intriguait, me faisait peur, je voulais en savoir plus sur elle même si, à sa vue, je me figeais. Au fond, peu m’importait, ce dont j’avais besoin était de sentir son odeur de plus près. Je me rapprochai, humai son cou, elle toucha mon bras puis au moment où je voulus lui prendre la main, elle disparut. Stupéfaite, je dévalai les escaliers pour tenter de la rattraper mais arrivée en bas, elle était déjà partie. Pourtant, une voix me chuchota : « Aurore, je suis là ! ». Je fis volte face et croyant que ces paroles provenaient de la cuisine, je m’y précipitai. Je m’approchai du garde-manger à petits pas. La chaise derrière moi bougea et je la retrouvai assise sur la table. Elle rit de sa voix mélodieuse, se leva et m’entraina avec elle, encore vêtue de sa cape, dans la chambre d’amis. Je ne voyais toujours rien d’autre que ses yeux, qui me fascinaient. Je m’esclaffai, la dame aux yeux verts était bel et bien avec moi ; elle me baisa la main, nous dansâmes comme des enfants jusqu’à une heure tardive. C’était la première fois, depuis si longtemps, depuis mon licenciement de l’hôpital en fait, que je me sentais enfin vivante !

A l’aube, nous nous écroulâmes heureuses et ivres de fatigue les mains entrelacées et nous fermâmes les yeux.

Ce petit jeu entre nous dura un long moment ; avec elle, je perdais la notion du temps. Moi, qui d’ordinaire étais si ponctuelle, peu m’importait, tant que cette jeune fille restait à mes côtés. Malgré ce long mois de vie commune, je ne connaissais toujours pas les traits de son visage, qu’elle dissimulait tout le temps, par pudeur sans doute. J’appris à respecter son choix.

Or, un jour, je blêmis. En effet, je venais de me rendre compte que nous étions le 11 décembre, date d’anniversaire de ma jumelle, Lucie. Je courus me préparer. Une fois montée, la dame aux yeux verts me rattrapa, mais je devais partir chez ma sœur car il était impensable de passer notre anniversaire séparée l’une de l’autre. Mais la femme aux yeux verts me prit les mains, brusquement. Je tressaillis. Ne comprenant pas où elle voulait en venir, je la laissai faire. Elle se posta devant le miroir, je l’y rejoignis. J’observai la glace. Ma gorge se noua. Seul mon reflet apparaissait, je tournai la tête et pourtant, je voyais Les Yeux Verts à côté de moi. Elle ôta son capuchon qui auparavant dissimulait son visage. Je reconnus alors une figure familière...

— Je m’appelle Lucie, dit-elle simplement.

Prise de panique, je tentai de la prendre dans mes bras mais rien n’y fit. Lucie n’était qu’une apparition, je brassai du vent. Je pensais pourtant l’avoir vue, mais le notaire avait raison : Lucie était bel et bien morte. Je ne me contrôlais plus, l’esprit de ma sœur tentait de me calmer en vain. Les larmes ne cessaient de descendre le long de mes joues, je hurlais de désespoir. Ma moitié m’avait donc quittée. Une peine incommensurable m’envahit. Ma douleur était insupportable, la folie me guettait. Que devais-je faire ?!

— Rejoins-moi !, cria Lucie comme si elle devinait mes pensées.

C’était bien sa voix, mais je doutais. Lucie devait être morte ! Était-ce l’effet du délire ?! Avais-je perdu la raison ?

Le seul remède était la proposition de Lucie...

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