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La Maquette, par Charles André

Article du 4 juin 2012, publié par PO (modifié le 5 juin 2012 et consulté 336 fois).

La Nouvelle vague fantastique : Table des matières


La Maquette

Charles André

Je m’appelle Léopold Debenavoux. Je suis journaliste, enfin j’étais. Aujourd’hui j’ai cessé de travailler, je suis vieux maintenant. Ces faits que je vais vous raconter ont eu lieu il y a bientôt quinze ans. A l’époque, je travaillais pour un journal parisien. J’envoyais mes articles par la poste depuis mon ancienne propriété isolée dans la campagne solognote. J’avais à mon service une vieille bonne .J’aimais profondément la Sologne et étais plein d’affection pour ma demeure. En ce temps là j’étais un passionné de maquettisme. Je reproduisais tout : les voitures, les personnes, les bâtiments… Je consacrais tout mon temps libre à cela.

Or, un jour, j’eus l’idée – combien néfaste, je m’en rendis compte plus tard – de reproduire ma maison. Je vidais entièrement une petite chambre d’amis situé au premier étage et me mis au travail. J’étais à l’époque assez maladroit et il m’arrivait souvent de casser un élément de ma maquette : c’est ce qui me perdit.

Un matin, je brisai par erreur l’un des carreaux de la fenêtre de la cuisine de la maquette avec la pointe de mon couteau. Je décidai de m’arrêter afin de ne pas faire plus de dégâts et sortis dans le jardin pour prendre l’air. Comme je passai par hasard devant la fenêtre de la cuisine, j’aperçus que l’un des carreaux était brisé. Sur le moment je n’y attachai que peu d’importance, considérant cela comme une simple coïncidence. Je rentrai chez moi, et passai une excellente nuit. Le lendemain, je me remis au travail, sans que d’autres incidents ne se produisent. Mais l’après-midi, je renversai un petit pot d’eau dans la pièce correspondant à mon bureau dans la maquette. J’épongeai immédiatement mais il restait une large tache au sol. Je décidai de continuer l’article que j’écrivais en ce moment, je laissais ma maquette telle quelle. Je me dirigeai vers mon bureau et lorsque j’ouvris la porte, je fus saisi d’horreur. En effet, devant moi, exactement semblablement à la maquette, je voyais mon bureau totalement détrempé. Cette fois – ci je .ne pus éviter de faire le rapprochement entre la réalité et la maquette. Trop excité pour travailler, j’allai me reposer sur mon lit et m’endormis d’un sommeil enfiévré.

Le lendemain, je questionnai ma bonne afin de savoir si ce n’était pas elle qui avait renversé de l’eau dans mon bureau, mais non. Je me jurai de ne plus toucher à la maquette mais une force irrésistible semblait m’entraîner vers elle : je m’imaginais que c’était Jeannette, la bonne, qui était effectivement responsable des dégâts, qui n’avait pas osé me l’avouer et l’esprit rassuré, je me remis à mon ouvrage. Je demeurais subjugué par cette étrange attirance, et songeais que tout cela n’était qu’une suite de coïncidences et pourtant j’étais angoissé, mon esprit torturé, excité, s’imaginait toutes sortes de folles hypothèses plus absurdes les unes que les autres. De nouvelles coïncidences – était-ce bien des coïncidences – eurent lieu. J’étais terrorisé mais ne pouvais m’empêcher de continuer cette maudite maquette. J’achevai les derniers détails de la construction. Maladroitement, je laissai tomber dans l’escalier miniature la figurine de Jeannette. Elle se brisa au niveau du cou. Aussitôt j’entendis un cri strident qui me fit hérisser les cheveux sur la tête ; je me précipitai dans l’entrée et faillis défaillir ; je blêmis, sentant mon visage se décomposer. Je ne pouvais même pas crier, j’étais sans voix, tétanisé : Jeannette gisait au bas de l’escalier, la nuque brisée. Cette fois, plus de doute, j’étais maudit. Laissant le cadavre gésir dans la pièce, j’allai, égaré, errer dans le jardin. Maudit, j’étais maudit ! Et pourtant ce n’était peut-être qu’un regrettable accident ? … non. C’était trop évident... Je ne savais plus quoi penser. Cette situation était insoutenable. J’allais devenir fou.

Le lendemain matin, après avoir fait emporter le cadavre, je pris la ferme résolution de brûler ma maquette. Je la chargeai dans ma voiture et roulai jusqu’à la forêt voisine. Je jetai ma maquette au sol et y mis le feu. Dans la fumée noire qui s’en dégageait il me semblait que tous mes soucis s’envolaient. Tout ceci n’était sûrement finalement qu’une suite de coïncidences, aucune malédiction ne pesait sur moi. C’est le cœur léger que j’arrivai en vue de ma maison. Et là, je m’arrêtai, horrifié : ma maison avait entièrement brûlé.

Voilà, j’ai tout dit. Je vis maintenant seul dans un appartement minuscule, torturé et tiraillé par le doute : coïncidence ou maléfice ?

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