Sommaire

Sommaire

Recherche

Nous suivre

newsletter facebook twitter

Connexion

Vous n'êtes pas connecté.

Le Froid de la Mort, par Valentin Hollingshausen

Article du 4 juin 2012, publié par PO (modifié le 5 juin 2012 et consulté 229 fois).

La Nouvelle vague fantastique : Table des matières


LE FROID DE LA MORT

Valentin Hollingshausen

C’était l’un de ces longs et froids jours d’hiver, où le ciel gris et triste laissait à peine passer les rayons du soleil aux contours estompés par les épais nuages. Je lisais un journal dans le petit salon de mon ap¬par¬tement parisien, lorsqu’on sonna à ma porte. Je me levai, surpris, car je n’attendais aucune visite. J’ouvris la porte et vis mon vieil ami Antoine, avec son habituel sourire jovial, que je lui rendis.

— Bonjour, Antoine, dis-je. Quel bon vent t’amène ?

— Bonjour, Jean, s’exclama-t-il, apparemment très content. Je suis ici car je viens d’acheter une douillette petite maison, en Savoie, et je voulais te proposer de venir y passer quelques jours. » En voyant mon hésitation, il ajouta : « Tu as l’air épuisé, tu travailles bien trop. L’air de la montagne te ferait le plus grand bien ! »

Je ne réfléchis pas longtemps, et quelques jours plus tard Antoine se présenta avec son auto devant l’immeuble où je logeai et nous partîmes.

La route fut longue, et lorsque nous arrivâmes enfin, le lendemain, j’étais épuisé. Antoine me fit visiter les lieux, puis me montra ma chambre. Je sombrai immédiatement dans un lourd sommeil sans rêves. Je fus réveillé par l’intense lumière du jour. Je regardai l’horloge, il était déjà onze heures. Je m’habillai puis je descendis. Antoine n’était pas là. Affamé, je me dirigeai vers la cuisine, où j’entrepris de me préparer un tardif petit déjeuner, quand j’eus la désagréable impression d’être observé. Je scrutai la fenêtre. Au dehors, une épaisse forêt de sapins couverts de neige surmontait les pentes de la montagne. Ici, le soleil brillait si fort qu’à force de tenter de distinguer la chose qui m’épiait, j’avais mal aux yeux et ma tête tournait. C’est alors que je crus voir quelque chose ou quelqu’un qui jaillissait des buissons près de la maison et qui courait incroyablement vite vers les sapins. Sur le moment je n’y prêtai pas attention, car je n’étais même pas sûr d’avoir bien vu.

La porte s’ouvrit, et Antoine fit son entrée dans la pièce, souriant. Il me salua et s’excusa de m’avoir laissé seul. Il m’expliqua qu’il était allé faire des courses en ville. Le lendemain, sur la proposition de mon ami, nous partîmes en randonnée une journée. Mon lourd sac sur le dos, je suivis Antoine sur un petit sentier de montagne, recouvert de neige immaculée. Nous avions marché longtemps, et mes pieds étaient trempés. Pour ne rien arranger, la neige commença à tomber violemment, jusqu’à ce que nous n’y voyions plus rien à plus de trois mètres. Antoine jura, et me cria d’accélérer. Je le suivis tant bien que mal dans la tempête. Je ne le voyais même plus. Je continuais à marcher. J’étais trempé jusqu’aux os. Au bout de plusieurs heures, la neige commença à tomber moins fort. C’est alors que je m’aperçus avec stupeur que je n’étais absolument plus sur le chemin. J’étais perdu dans la forêt, au milieu de nulle part. La tempête avait complètement effacé mes pas. Je commençai à paniquer. Le froid pénétrait mes vêtements détrempés. J’appelai Antoine, je criai à l’aide, mais il n’y avait que l’écho moqueur pour me répondre. Au bout d’un moment, j’entendis un bruit de pas derrière moi. Pensant qu’il s’agissait de mon ami, je me retournai vivement et je m’écriai « Antoine ! ». Mais mon cri de joie mourut dans ma gorge. En face de moi se tenait un homme grand et maigre. Mais ce qui retint mon attention, c’était le fait qu’il portait un horrible masque grimaçant de monstre.

Je crus tout d’abord que j’étais en train de rêver, mais je m’aperçus que la morsure du froid et la souffrance que m’infligeaient mes membres fatigués étaient bien réelles. Il resta longtemps ainsi, raide et immobile comme une statue. Je lui demandai alors, troublé : « Qui êtes-vous ? » Il ne répondit pas. « Pourriez-vous m’aider, s’il vous plait ? Je me suis égaré et je... ». Je me tus, me rendant compte de l’absurdité de la scène : je parlais à un inconnu qui portait un masque, en lui expliquant que je m’étais perdu en pleine montagne. C’est alors que je m’aperçus qu’il tenait dans sa main un objet brillant. Je blêmis. C’était un long poignard courbé. Je suais à grosses gouttes malgré le froid. Je restai figé ainsi un long moment, et lui non plus ne bougeait pas. J’essayais de comprendre ce qui m’arrivait. L’explication la plus logique ne me semblait pas la plus rassurante. « C’est un fou », me dis-je, terrorisé. Mon cœur battait la chamade. J’entrepris de reculer lentement puis de m’enfuir. Mais à peine avais-je levé le pied que l’apparition se mit à avancer vers moi. Il était à peine à une dizaine de mètres de moi. Je paniquai en voyant la lame semblable à un serpent sournois. Je fis volte-face et je me mis à courir aussi vite que je le pouvais, tout en criant à l’aide. Je m’époumonai, et très vite je m’aperçus que la chose ne me poursuivait pas. Je ne le voyais plus, et je me demandais si je n’avais pas été victime d’une hallucination. Je ralentis alors le pas. Soudain il me sembla que mon cœur s’était arrêté de battre. L’homme se tenait devant moi, toujours aussi raide et immobile.

Comment avait-il fait ? Comment un homme pouvait-il parcourir une telle distance en aussi peu de temps ? Alors je me demandai pour la première fois s’il s’agissait vraiment d’un être humain. Je repoussai aussitôt cette grotesque hypothèse. C’était absurde de croire aux contes de vieilles femmes. Un profond sentiment de désespoir m’envahit alors. Comment pouvais-je échapper à un être si rapide qu’il pouvait me rattraper en quelques secondes ? La satisfaction du fou était presque tangible tant elle était forte. J’avais même l’impression que le masque ignoble qu’il portait souriait. Il s’approcha de moi, tel un bourreau devant un condamné. Je vivais mes derniers instants, j’en étais persuadé. Je respirais l’air froid, je me forçais à refouler ma peur face à cet être si calme et si sauvage à la fois. Il semblait impassible comme la pierre mais fort comme un lion. J’étais convaincu que lutter serait inutile. Soudain, j’entendis un cri. Loin d’abord, mais la personne qui bravait ainsi le risque de provoquer un éboulement se rapprochait peu à peu. Puis je m’aperçus que c’était mon nom que l’on vociférait ainsi. Le masque de l’homme qui me poursuivait sembla se décomposer. Il fixa sur moi ses étranges yeux, puis s’élança à une vitesse incroyable dans la sombre forêt.

Quelques instants plus tard, l’homme qui criait mon nom dévala la pente au-dessus de moi et courut vers moi. C’était bien évidemment Antoine. Il souriait toujours, mais son visage était pâle, et ses yeux cernés. Nous restâmes un instant l’un devant l’autre, puis il me dit d’une voix fatiguée :

— Tu m’as fait peur, mon ami.

— J’imagine. Je suis désolé.

— Ce n’est absolument pas ta faute. Tu dois être mort de froid. Viens, on rentre.

J’hésitai à lui faire part de mon étrange rencontre, mais je ne pensai pas qu’il s’agissait du moment propice. La nuit commençait à tomber, et sans la connaissance parfaite de la montagne de mon compagnon, nous n’aurions jamais pu retrouver notre chemin vers la vallée. Lorsque nous atteignîmes enfin la petite maison, je m’effondrai sur mon lit.

Le lendemain matin, je réfléchis, puis je décidai de ne pas confier à Antoine ma confrontation avec le mystérieux homme au masque, me rappelant que beaucoup de gens avaient déjà été « mis à l’écart » pour avoir affirmé avoir vu de semblables apparitions.

J’appris à mon ami que je comptais écourter mon séjour, me justifiant en disant que j’avais déjà beaucoup de travail en retard, et que mon employeur n’était pas très indulgent ni en très bons termes avec moi. Il fut quelque peu déçu, mais il se montra compréhensif. Lorsque nous rentrâmes à Paris, je pris conscience que la personne qui m’avait fait si peur n’avait rien d’humain. Je me demandai même si la chose portait vraiment un masque. Mais ayant toujours été quelqu’un qui ne croyait pas à ce genre d’absurdités, je me demandai si je n’étais pas dérangé. Employer le mot fou, même en pensée, me dérangeait. Mais peu importe que je sois dérangé, que tout cela soit réel, que je sois en train de rêver, tant que je partais loin de cet endroit maudit.

École alsacienne - établissement privé laïc sous contrat d'association avec l'État

109, rue Notre Dame des Champs - 75006 Paris | Tél : +33 (0)1 44 32 04 70 | Fax : +33 (0)1 43 29 02 84