Jeudi 9 octobre 2025, la France a honoré l’un de ses plus grands défenseurs de la justice, Robert Badinter (1928-2024), par son entrée au Panthéon.
Cette date n’a pas été choisie au hasard, puisqu’elle marque l’anniversaire de la promulgation de la loi du 9 octobre 1981 portant abolition de la peine de mort, le plus grand combat de cet homme de justice et d’humanisme.
En cette occasion historique, nous souhaitions remonter le temps et publier à nouveau un document précieux : l’entretien que Robert Badinter avait accordé, en 2013, à deux élèves de l’École alsacienne, Mathilde N. et Lucie R. (alors en classe de 3e).
Cet échange a été publié dans les Cahiers de l’École Alsacienne (numéro 73).
Romain Borrelli, revient sur cette journée particulière
” Une journée d’automne 2013 pas comme les autres : Me voici en route avec deux élèves apprenties journalistes pour “interviewer Robert Badinter”. Le simple énoncé de cette phrase me laisse stupéfait, encore aujourd’hui ! J’avais douze ans lorsque la peine de mort a été abolie en France, mais ce jour d’octobre 1981 m’a profondément marqué, comme nombre d’entre nous. Pendant toutes les années qui ont suivi, Robert Badinter était pour moi l’incarnation de la résilience, l’incontournable visage de l’humanisme, celui qui s’était battu sans relâche pour mettre fin à une barbarie dont notre pays ne pouvait s’honorer. Et pouvoir le rencontrer “en vrai”, le questionner tout simplement, de surcroît à son domicile, signifiait beaucoup.
La rencontre fut à l’image de ce que cet homme était : simple, courtoise, mais si riche que nous n’avions pas envie qu’elle s’arrête ! M. Badinter nous reçu pendant plus d’une heure dans son bureau, nous livrant les souvenirs du combat de sa vie, et nous décrivant en détail le climat qui prévalait en France en cet automne 1981, les passions que cette question suscitait, la violence verbale et presque physique à laquelle il fut confronté. Il nous raconta également ses liens avec L’École alsacienne, lui qui habitait à deux pas de celle-ci.
À la fin de l’entretien, alors que timidement je le remerciais, il me demanda si cela me ferait plaisir de faire une photo ensemble (!). Et sur le seuil de la porte de son bureau il me remit un exemplaire de son livre L’abolition, qu’il avait pris soin au préalable de dédicacer.
Merci M. Badinter pour avoir mis fin à cette barbarie sans nom.
Merci de nous avoir accordé cet entretien, qui restera à jamais gravé.
Romain Borrelli,
professeur d’histoire-géographie

ARTICLE publié en 2013 : Rencontre avec Robert Badinter
La loi sur l’abolition de la peine de mort a été votée à l’Assemblée Nationale le 18 septembre 1981 et votée au Sénat le 30 septembre à 12:40. La promulgation a eu lieu le 9 octobre.
Convaincre le Sénat
La bataille pour convaincre le Sénat a été, pour M. Badinter, la plus difficile et la plus intéressante.
Deux ans auparavant, le Sénat était contre l’abolition de la peine de mort. Pour les convertir, M. Badinter ne voulait pas les prendre de front violemment et a donc préféré y parvenir de façon diplomatique.
Durant cette période d’automne, les températures étaient très basses, et M. Badinter avait attrapé un rhume ; la voix endommagée, il ne pouvait donc parler que très bas et doucement, ce qui s’avéra être un atout quand il dut s’entretenir avec les sénateurs qui apprécièrent l’absence de violence et d’altercation durant le débat.
Durant l’entretien, M. Badinter développa trois idées principales : la conséquence que ce choix aurait sur l’Europe, l’influence positive que cela aurait sur leurs relations internationales et la possible position de modèle politique face à certains pays qui auraient du mal à abolir.
Ses arguments furent les bons car au bout de deux jours et deux nuits de débat continu et acharné, M. Badinter est finalement arrivé à ses fins et le Sénat a approuvé le texte de loi sur l’abolition de la peine de mort en France. Néanmoins la France fut l’un des derniers pays à abolir en Europe occidentale.
Le mérite
D’après le célèbre avocat, le mérite de l’abolition de la peine de mort revient au président de l’époque, M. François Mitterrand car il avait eu l’audace de se présenter aux élections présidentielles avec pour but, dans sa campagne, d’abolir la peine de mort alors que plus de la moitié de la population était contre. De plus, la mise à mort enfreint La Déclaration Des Droits De l’Homme et l’État se doit de respecter ce texte officiel.
La peine de mort n’a jamais été rétablie car le gouvernement s’est rendu compte de l’inutilité de cette pénalité. Ils se sont aussi rendu compte que le taux de criminalité sanglante n’avait pas évolué depuis l’abolition, cette constatation traduit la plus profonde inefficacité de cette sentence. […]
Citations
Charte des droits fonda-mentaux des Européens : « Nul ne pas être condamné à mort ni exécuté ».
Constitution européenne, art. 66 : « Nul ne sera mis à mort ni exécuté ».
De l’autre côté de l’Atlantique
Sur le continent américain, presque la totalité des pays est convertie à cette idée sauf certains États des États-Unis et quelques îles des Caraïbes.
Aux États-Unis 14 États sur 51 ont aboli cette peine ; les pays n’ayant pas encore fait sont plutôt les États du Sud. L’État du Texas est le plus redouté par les défenseurs de la Déclaration des droits de l’homme car c’est l’État où la peine de mort persiste le plus fortement.
Récemment, on a su que la Californie voulait entamer une procédure d’abolition de peine de mort même si sa situation géographique et criminelle n’accompagne pas vraiment cette ambition ; en effet, elle est située près du Mexique où la situation des individus « rebelles » n’est pas très bien gérée et l’omniprésence de deal illégaux en tous genres persiste. Cependant les motivations de ce changement sont toutes aussi étonnantes que leur contexte car la Californie espère abolir la peine de mort pour des raisons qui ne sont ni sociales, ni juridiques, ni morales mais seulement pour des raisons économiques.
Effectivement, d’après le gouvernement californien le prix d’une mise à mort est plus cher qu’un internement à perpétuité !
Cette situation est une grande première. En dix ans, le nombre de condamnations à mort a été divisé par deux.
« Du jamais vu ! » s’exclame Robert Badinter.
M. Badinter est très optimiste au sujet des États-Unis car un mouvement abolitionniste croissant parcourt tous les États-Unis, cela exprime un bilan d’évolution très positif.
Sous la chaleur accablante de l’Afrique du Nord
M. Badinter est allé récemment en Tunisie afin d’aider ce peuple à rejoindre les conventions contre la peine de mort.
Les pays arabes traversent une période très difficile en ce moment (guerres civiles, les révolutions, les dictatures…), surtout dans les pays intégristes comme l’Iran ou l’Arabie saoudite qui ont beaucoup de mal à abolir la peine de mort.
L’abolition dans ces pays-là est très difficile car les droits de l’homme sont représentés par la charia. Ce texte sacré autorise dans ses écrits la peine de mort et en érige une image naturelle, dans l’ordre des choses (exemple : Jésus). De ce fait, la charia autorise la peine de mort et il est difficile de convertir ces États islamistes à l’abolition car cette pénalité est sacrée pour eux depuis des siècles, voire des millénaires.
Allons voir nos voisins du côté de l’océan Indien
En ce moment, la Chine est parcourue par un grand mouvement abolitionniste (notamment chez les étudiants). Une évolution positive est en cours et M. Badinter est convaincu que l’abolition de la peine de mort est pour dans quelques décennies.
Les failles
Le système judiciaire de la peine de mort est très corrompu, il y a énormément de vices structurels, d’injustices raciales et sociales. La sanction dépend souvent du contexte juridique de l’État.
Il y a deux types d’erreurs judiciaires :
Les « voulues » : la nuisance à une enquête par des individus cachant des preuves.
Les « fabriquées » : des procès qui s’étendent sur 15 ou 20 ans et en attendant le verdict de la cour pénale, les accusés parfois innocents sont emprisonnés.
Ces « erreurs » ont lieu principalement aux États-Unis. En France les procès durent environ 15 jours.
D’un point de vue universel, la peine de mort « perd du terrain » et d’année en année les pays se convertissent à l’idée de l’abolition (l’Azerbaïdjan et la Mongolie ont aboli récemment). Néanmoins les pays islamistes intégristes ne font que propager et promouvoir la peine de mort. Au Pakistan la peine de mort « explose ».
En 30 ans, les conséquences de l’abolition de la peine de mort sont allées bien plus loin qu’on aurait imaginé ; d’après M. Badinter, la peine de mort disparaîtra, comme la torture a disparu. Elle était légale jusqu’en 1786 puis suite à une convention en 1789, elle fut interdite dans quasiment tous les États du monde.
La mauvaise surprise
Récemment un organisme juridique a étudié les cas des condamnations à mort depuis 1777 à 2002 et dans ces procès, 1/3 auraient dû être innocentés !
La citation
« Tant que je vivrai, je continuerai à me battre pour l’abolition de la peine de mort. » Robert Badinter
Article de Mathilde N. et Lucie R.
Illustration de Coco
Cet article est également illustré par un dessin de Coco, célèbre caricaturiste.
Coco a longtemps travaillé pour l’École alsacienne. Son trait précis et son humour ont donné un visage à ce grand moment de l’Histoire.